Les femelles ont longtemps été l’invisible de l’éthologie, de l’anthropologie, de la préhistoire, de l’histoire, de l’art. Tenues en laisse, muselées, confinées dans le cercle domestique, leurs corps ont été contrôlés, transformés, sélectionnés, et leur imaginaire mis au service de la domination masculine.
À la fois accusées de tous les maux et porteuses de tous les espoirs, de Pandore à la Piétà, de la maman à la putain, la femme est pour certains l’avenir de l’homme, parce qu’elle est paix, amour, consolation, pour d’autre elle est seule responsable de sa chute : parce qu’elle est tentatrice, séductrice, terrienne, trop terrienne. Objet extraordinaire, comme le dit Léo Ferré, la femme entre les mains du mâle dominant est toujours bonne à panser les plaies du nomade chasseur que serait le mâle sapiens depuis ses origines.
Mais d’où viennent donc ces certitudes quant à la nature originelle du mâle et de la femelle chez l’homme occidental moderne ?
En primatologie, qui inspire encore l’anthropologie et la sociobiologie, la hiérarchie de dominance a constitué le modèle d’organisation sociale majeur. Les rôles sociaux étaient ainsi distribués en fonction du sexe : les mâles étaient les défenseurs de la troupe, ils la poliçaient et en assumaient l’ordre, ils en assuraient la stabilité et la paix et les relations étaient très agressives et hiérarchisées. Les femelles étaient des mères entièrement dévouées à leurs petits, sexuellement soumise à la disposition des mâles en fonction du rang de ces derniers. Dans les années 1970, le concept de dominance a été fortement remis en question par les femmes primatologues. Thelma Rowell remet totalement en cause l’existence non seulement de la hiérarchie mais également celle de la compétition et de l’agressivité. Si les primates sont agressifs, c’est parce que le chercheur, pour mieux les observer, modifie les conditions habituelles d’obtention de la nourriture. Dans les années 60, les femmes n’ont pas accès aux carrières universitaires, elles sont donc cantonnées aux recherches sur le terrain. Elles restaient de ce fait plus longtemps et pratiquaient des méthodes d’habituation moins intrusives. Jane Goodall est un cas un peu à part dans la mesure où elle a créé des sites d’approvisionnement pour pallier aux conditions impossibles de son terrain.
La comparaison entre peuple chasseur-cueilleurs actuels et hommes préhistoriques est également riche d’enseignement. S’appuyant sur les études ethnologiques des peuples indigènes certains auteurs n’hésitent pas à affirmer que dès le Paléolithique la domination masculine existait. Toute hiérarchisation trouverait ainsi son origine dans la division sexuelle des tâches qui seraient le propre de l’espèce humaine. Pourtant, si l’on s’en tient aux vestiges archéologiques il nous est impossible d’affirmer qu’une division sexuelle des tâches existait dès notre plus lointain passé. Les sépultures, plus présentes à l’époque du gravettien, ne témoignent pas en faveur d’une hiérarchisation des sexes au Paléolithique. De plus, s’il existe effectivement une différence entre femme et homme chez les peuples indigènes, il est important de signaler que ces peuples ont une histoire et que la confrontation avec l’homme blanc n’a pu se faire sans heurt, sans violence, sans modification significative des traditions. Si, comme cela est le cas actuellement chez la quasi totalité des peuples indigènes, les armes tranchantes sont interdites aux femmes, cela ne signifie nullement que cette interdiction découle de l’essence de la femme. S’emparer des armes et les interdire est le meilleur moyen d’exploiter l’autre, capter les armes est donc une stratégie non une erreur, une inconscience ou un instinct. Les hommes de la Préhistoire ou les indigènes ne sont pas moins rationnels que les hommes modernes. Inscrire la domination masculine dans les origines même de l’humanité, comme étant le propre de l’espèce, c’est croire en une évolution finaliste qui œuvre pour le bien de l’homme et plus particulièrement pour le mâle. Ce dernier, après quelques centaines d’années de réflexion intellectuelles et universitaires serait enfin conscient de la domination qu’il exerce et, généreux, il offre enfin, mais au compte goutte, l’égalité aux indigènes, aux femmes et peut-être aux animaux.
Mais de quelle égalité s’agit-il ?
Comme le dit Carla Lonzi : « L’égalité est ce que l’on offre aux colonisés sur le plan des lois et des droits. Et ce qu’on leur impose sur le plan de la culture. Et le principe à partir duquel l’hégémonique ne cesse de conditionner le non-hégémonique. Le monde de l’égalité est le monde de l’écrasement légalisé, de l’unidimensionnel. L’égalité entre les sexes est aujourd’hui le masque qui dissimule l’infériorité de la femme. »
La civilisation, l’extension des villes, est une grande battue qui pousse la proie vers les lieux où elle sera capturée. Cette proie est tout ce qui refuse de s’identifier au Père des nations, des villes, des capitales, tout être qui refuse de montrer patte blanche au Saint Lieu de la domestication. La femme ne pond pas des œufs mais elle est dans la basse-cour avec des coqs trop promptes à partir au combat et qui chantent l’amour pour mieux écraser l’adversaire qu’ils se sont inventé. Il est temps pour les poules de s’allier aux autres animaux de la basse-cour et aux poulets qui rêvent d’autre chose que de phallus d’acier pour rendre impossible toute nouvelle prise de pouvoir.
Bibliographie
Vinciane Despret, Quand les mâles dominaient… Carla Lonzi, Crachons sur Hegel La matriarche, la cuisinière et l’amazone : des histoires pour les hommes