[Chronique radio] Les représentations humaines au Paléolithique : les Vénus

Les Vénus du Paléolithique représentent une faible partie des figurations sculptées mais la place qu’elles occupent dans notre imaginaire est privilégiée. Bien que présentes dès l’Aurignacien, comme l’atteste la mise au jour de la Vénus acéphale de Hohle Fels datée entre 35 000 et 31 000 avant le présent, elles connaissent deux moments forts : au Gravettien, de 30 000 à 22 000 environ, et au Magdalénien, de 17 000 à 11 000 avant le présent.

Sommaire :

Amulettes Morcellement du corps Les schématiques Bibliographie

Émission #101 - les Vénus du Paléolithique européen

C’est en 1864, à Laugerie-Basse en Dordogne, que fut découverte la Vénus dite impudique en raison de la taille exagérée de son sexe. Depuis, un nombre important de statuettes féminines ont été régulièrement découvertes. Présentes de l’Océan Atlantique jusqu’en Sibérie les plus connues restent celles de Lespugue et de Willendorf, archétypes de la statuaire féminine paléolithique.

Trois Vénus européennes

Les préhistoriens du début du XXe les envisageaient comme des représentations de femmes réelles ce qui amena Edouard Piette, en 1894, à distinguer deux races : les stéatopyges, en référence à Saartjie Baartman, connue sous le nom de Vénus Hottentote ; et les astéatogyne plus civilisées. Cette vision traduit la conception linéaire de l’évolution dominant à son époque, qui ne peut séparer l’évolution biologique de l’évolution culturelle. Avec l’acceptation de l’art Paléolithique pariétal en 1902, les figurations ne seront plus étudiées dans l’intention de déterminer des types humains paléolithiques mais plutôt du point de vue de leur signification. Les statuettes féminines deviennent ainsi des déesses-mères, des maîtresses du foyer, des prêtresses de la chasse, des déesses de la fécondité. Certains préhistoriens les envisagent comme des témoins d’une organisation sociale matriarcale, tandis que pour d’autres elles sont la preuve de l’existence d’une société patriarcale, la femme étant réduite à sa fonction biologique. Aucune de ces interprétations n’a été confirmée par les nombreuses et récentes études archéologiques.

Amulettes

L’observation des peuples natifs permet aux archéologues d’envisager d’autres hypothèses. Certains peuples fabriquent des statuettes qui ont un statut d’amulettes ou de fétiches. C’est l’une des interprétations envisagée pour les Vénus gravettiennes de Grimaldi (Italie). Parmi les quinze statuettes mises au jour entre 1883 et 1895, 13 ont été analysées. Bien qu’elles semblent avoir été produites sur une période de plus de 5000 ans, les éléments iconographiques communs démontrent qu’elles font partie d’une même tradition. Cinq sur douze sont perforées pour être suspendues, d’autres ont des sillons qui suggèrent la suspension. L’absence de polissage par manipulation semble indiquer qu’elles ne sont pas passées de mains en mains. Elles pourraient être conçues pour une utilisation personnelle plutôt que pour être visiblement exposées. Huit sont représentées la vulve dilatée ou avec un bébé émergent, correspondant aux dernières étapes de la grossesse et de l’enfantement. Selon les auteurs, elles seraient donc des amulettes possédées individuellement afin de garantir un accouchement sans danger pour la mère. Dans les groupes de chasseurs-cueilleurs l’adulte est plus important que l’enfant puisqu’il participe activement à toutes les tâches de survie. Ces statuettes semblent donc indiquer un usage individuel, personnel et quotidien.

Vénus de Grimaldi (Italie)

Morcellement du corps

Chez d’autres peuples natifs, des statuettes sont fabriquées en vue d’incarner des esprits lors de rituels d’initiation ou de guérison et sont détruites après utilisation. Cette pratique connue des archéologues est à l’origine de l’hypothèse de la « magie de destruction », qui consiste à porter atteinte au sujet vivant par l’intermédiaire de sa représentation. Elle a longtemps été envisagée pour les statuettes des sites gravettiens d’Europe centrale et de Russie (Avdeevo, Dolni-Vestonice, Pavlov et Kostienki). Ces sites livrent, parmi des figures de corps féminins et animaux entiers, un nombre important de corps incomplets et de portions de corps. Une étude de 2012 menée sur les figurations féminines de Kostienki (Russie) démontre qu’il ne s’agit pas de fragmentation de statuettes entières mais de figures autonomes de corps partiels et de portions de corps. Les statuettes de Kostienki, d’un grand réalisme anatomique, figurent des femmes en état de gestation ou ayant déjà enfanté et parées de bandeaux gravés au niveau de la taille, sur les seins, aux poignets, aux chevilles. Les attributs féminins liés à la fertilité sont exacerbés mais l’attitude en retrait et l’absence de visage ne montrent pas une femme simplement humaine, ni une divinité rayonnante, mais un mélange des deux. La figure féminine gravettienne sculptée pourrait symboliser cette union, être une figure hybride, un personnage liant deux dimensions.

Vénus de Kostienki (Russie)

Il est important de noter que les statuettes des sites de Sibérie (Malta et Bouret) se distinguent du reste de l’Europe. Les seins sont gravés et non figurés en volume, des vêtements recouvrant parfois tout le corps sont figurés et leur ventre est plat. Ces statuettes, bien que contemporaines des Vénus à ventre proéminent, pourraient avoir une toute autre signification.

Vénus de Bouret et Malta (Sibérie)

Les schématiques

À partir de 20 000 avant le présent, le refroidissement du dernier maximum glaciaire réduit la mobilité des peuples gravettiens et des isolats, notamment dans le Sud-Ouest de l’Europe, se forment. Les représentations féminines se réduisent et la ronde-bosse disparaît jusqu’au Magdalénien moyen (15 000). Au Magdalénien les figurations féminines se schématisent. L’image se concentre sur des éléments essentiels d’identification, notamment la posture générale bipède et relèvent du style géométrique. Elles sont présentes à partir de 13 000 environ en Allemagne sur le site de Gönnersdorf, mais aussi en Aquitaine et dans le Quercy. Un changement est également remarquable puisqu’au Gravettien les représentations féminines étaient réalisées en ronde-bosse tandis qu’au Magdalénien ce sont les représentations bidimensionnelle (peintures, gravures) qui dominent. L’homogénéité graphique qui caractérise le gravettien contraste également avec la période Magdalénienne où des caractéristiques régionales semblent être plus marquées.

Vénus de Gönnersdorf (Allemagne)

La représentation en ronde-bosse est davantage qu’une figure puisqu’elle est un objet, préhensible, manipulable, transportable. Cet objet figure des traits d’êtres vivants, humains et animaux, et peut être perçu comme un nouvel existant. La statuaire, à la différence des autres modes de représentation, peut donc être vue comme le médium le mieux adapté lorsqu’il s’agit de donner forme et vie à un être. L’éventualité du caractère hybride des figures féminines, mi-humaine /mi-divine, jointe à l’existence de nombreuses figures composites, mi-humaines/mi-animales, pourrait témoigner en faveur d’une fonction de jonction remplie par la statuaire entre deux catégories la nature et le surnaturel.

Bibliographie :

  • Delphine Dupuy, Fragments d’images, images de fragments, La statuaire gravettienne, du geste au symbole, thèse de doctorat, 2007.
  • Raphaëlle Bourrillon, Les représentations humaines sexuées dans l’art du Paléolithique supérieur européen : diversité, réminiscences et permanences, thèse de doctorat, 2009.
  • Randall White, Imagerie féminine du Paléolithique. L’apport des nouvelles statuettes de Grimaldi, 1998.
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